Il semblerait que nous ayons quelques points communs avec d’autres mammifères… Peter Levine[1], psychologue et biologiste, a souligné, il y a longtemps déjà, comment les animaux sauvages dénouent le traumatisme de leur corps en se secouant énergiquement après chaque alarme vitale. Il a été montré que cette auto-régulation était nécessaire à la survie, ce qu’on peut vérifier à l’occasion de captures d’animaux sauvages pour les soigner. À défaut du secouement, les animaux prélevés de leur environnement naturel ne survivent pas toujours. Levine a insisté plus tard[2] sur le besoin que nous avons, nous humains, de nous laisser trembler après un traumatisme, de faire avec notre corps les gestes qui auraient été nécessaires (et qu’on n’a pas pu faire et même qu’on n’aurait pas eu la force physique de faire) pour éviter un traumatisme : repousser la voiture qui nous a renversé, protéger notre visage qui a été blessé, etc. Dans une vidéo étonnante d’un de ses traitements avec un jeune garçon, Levine fait revenir son patient pas à pas dans le souvenir de l’épisode traumatique pendant que ce dernier décrit ses sensations présentes. Alors les épaules et le cou du jeune sont secoués de légers spasmes qui ressemblent en tous points aux modifications tissulaires qu’on peut observer parfois visuellement pendant des soins d’ostéopathie. Les douleurs du jeune disparaissent. La bienveillante compréhension et le non-jugement, le respect du vécu du jeune, le calme serein et l’assurance tranquille de Peter Levine semblent les qualités les plus spécifiques de ce soin. Une préconisation essentielle de Levine est d’aborder les traumatismes par très petites doses afin de ne déclencher aucune alarme chez le patient.

Le corps lâche ici ses tensions sans le moindre toucher. Cette réaction tissulaire, exceptionnelle en psychothérapie, est souvent observée en ostéopathie. Cela confirme qu’une contextualisation des symptômes qui n’élève pas le niveau de stress du patient est vraiment efficace.

Un neuroscientifique américain, Stephen Porges[3] a récemment[4] précisé un point important de sa théorie polyvagale, théorie que beaucoup d’ostéopathes connaissent aujourd’hui, grâce au moins à l’ouvrage d’Éric Marlien[5].  À l’avis de Porges, notre système nerveux autonome scrute en permanence notre environnement pour détecter si nous sommes menacés ou en sécurité. Il appelle cela la neuroception. Pour lui, c’est le système nerveux autonome qui, par les signaux visuels et sonores qu’il reçoit du monde immédiat, détecte s’il y a danger ou non. Il découle de ce scanner incessant une priorisation des réactions visant à nous mettre en sécurité au détriment d’autres fonctions intellectuelles d’apprentissage et d’épanouissement qui restent relativement inhibées car secondaires tant que le danger n’est pas écarté.

Depuis l’essor des connaissances sur le traumatisme et sur la théorie polyvagale, beaucoup de méthodes ont cherché à augmenter le tonus du parasympathique : relaxation, méditation, cohérence cardiaque, etc. De nombreux gadgets ont vu le jour pour stimuler le nerf vague afin de limiter les effets de l’orthosympathicotonie des phases d’alarme dans le corps. Le message récent de Porges a consisté à souligner l’importance de la co-régulation sociale. Nous autres humains, mammifères aussi, nous aurions besoin les uns des autres pour nous réguler après un danger. L’essentiel de la co-régulation passant par la voix et les mimiques d’une personne elle-même régulée, Porges ajoutait que, « rien ne sera jamais aussi efficace pour nous réguler que des personnes elles-mêmes régulées ». En cela, nous avons fondamentalement besoin les uns des autres.

La même co-régulation a été montrée chez les souris anxieuses qui, issues d’une lignée de souris anxieuses, deviennent calmes quand elles sont élevées par des souris d’une lignée non anxieuse.

Un troisième scientifique m’interpelle dans sa conception du traumatisme, un neuroscientifique spécialiste du sommeil : Robert Stickgold. Dans son schéma résumant les mécanismes qui président à d’État de Stress Post-Traumatique, il indique clairement que l’événement potentiellement traumatique est perçu directement par l’amygdale et l’hippocampe, avant toute interprétation par le cerveau conscient. Effectivement, notre cœur s’est emballé avant que notre conscience ne ramène l’image du serpent imaginé à une simple branche qui en avait l’apparence.

Peter Levine, Stephen Porges et Robert Stickgold ont ceci de commun, qui intéresse les ostéopathes, c’est qu’ils valorisent le trauma dans son inscription corporelle et inconsciente.

Et que peuvent faire alors les ostéopathes avec ces personnes traumatisées ? Avoir, comme Levine, la bienveillance de croire leurs patients et les accompagner pas à pas pour qu’ils comprennent mieux leur corps et ses symptômes. En expliquant l’ostéopathie, mais aussi ses limites, en respectant leur consentement aux techniques prévues, en n’ajoutant rien d’incongru à l’ostéopathie décrite, en écoutant ce que le patient pense de ses symptômes, en n’interprétant pas les symptômes à la place du patient, on n’ajoute pas de peur de l’inconnu. En leur offrant des soins paisibles, des voix et des paroles apaisées, en se co-régulant eux-mêmes, les ostéopathes ont cette magnifique possibilité d’offrir encore davantage de sécurité.

Mais alors comment l’Académie peut-elle participer à la co-régulation de ses membres ?  Partager des temps significatifs entre nous, grandir avec des formateurs qui élèvent notre pensée, qui améliorent nos savoir-faire et savoir-être… Nous aimerions tant savoir ce qui vous inspire. Ces Newsletters sont un trait d’union vers vous. Merci par avance de toutes vos bonnes idées pour avancer ensemble !

[1] Peter Levine, Réveiller le tigre, guérir le traumatisme. InterEditions, 1997.

[2] Peter Levine, Guérir par-delà les mots. Comment le corps dissipe le traumatisme et restaure le bien-être. InterEditions 2014.

[3] Stephen W. Porges, chercheur émérite de l’institut Kinsey, Université d’Indiana, et professeur de psychiatrie à l’Université de Caroline du Nord. Stephen Porges et son fils, Seth Porges, ont récemment écrit un livre sur la théorie polyvagale[3] afin de la rendre plus accessible : Notre monde polyvagal. A paraitre très prochainement.

[4] https://quantum-way.com/evenements/  S. W. Porges et P. Levine sont intervenus dans ce sommet de 6 jours consacrés au trauma, à la dissociation et à la résilience. Les replays sont disponibles et payants.

[5] Marlien, E. Le système nerveux autonome : de la théorie polyvagale au développement psychosomatique – Applications thérapeutiques et ostéopathiques.