Sur les modes et processus de Somatisation
A la lumière des connaissances en
Ostéopathie, Psychologie et Sciences fondamentales
Théorisation d’après des études de cas
Cet atelier de recherche a trois buts distincts.
Le premier but est d’établir des distinctions entre les différents modes de somatisation : pour quelles raisons on somatise de façon grave ou anodine ?
Quels facteurs déterminent l’apparition
- d’un trouble musculo-squelettique,
- d’une conversion hystérique,
- d’un symptôme qui remplacerait une parole (par métonymie ou métaphore),
- d’un trouble anxieux,
- ou d’une maladie organique ?
Comprendre quels ingrédients « produisent » une somatisation, c’est aussi estimer si un patient est, ou non, dans un effet de somatisation, et si oui, lequel.
Le second but est de renforcer des liens transdisciplinaires entre les cliniciens qui s’intéressent aux processus de somatisation, c’est-à-dire quand patient ou praticien suspectent qu’une souffrance psychique a inauguré des troubles corporels. Nous espérons pouvoir bénéficier des avancées des spécialistes en sciences fondamentales qui s’intéressent à ce champ de recherche.
Enfin, le troisième but est de mieux prendre en charge un patient souffrant d’une maladie psychosomatique, celle dont on meurt encore aujourd’hui. Quels processus de somatisation, et surtout de « désomatisation » pourrons-nous comprendre si nous croisons nos connaissances entre praticiens et chercheurs du corps, du psychisme et des sciences du vivant : biologie, biophysique, biomécanique, immunologie, etc.
Les bénéfices escomptés pour les thérapeutes seraient d’avoir davantage de repères balisant la compréhension et le traitement des patients et d’être les plus pertinents possible pour orienter rapidement les patients vers la bonne thérapie : hygiène de vie, ostéopathie, psychothérapie ou traitement médical.
Par exemple, qui consulter quand un accident grave de la voie publique a laissé des séquelles douloureuses et anxieuses qui ne guérissent pas ?
Un ostéopathe initié au stress post-traumatique aurait, à notre avis[1], plus de chance de d’aider une victime sur l’ensemble de ses troubles qu’un psychologue. Mais si cette victime est en colère ou si elle vit dans des conditions précaires, c’est un psy qui serait le plus apte à intervenir. De même, si le traumatisme a été intentionnellement produit par un être humain, ou si la culpabilité accable la victime, de nouveau c’est le praticien psy qui serait plus compétent. Et si cette personne avait déjà été victime dans son enfance, la médecine disposerait aussi d’outils diagnostic et de médicaments capables de prévenir des effets de chronicisations.
Les acquis
Dans cette clinique psychosomatique, nous disposons déjà d’un grand nombre d’acquis permettant de distinguer plusieurs façons de somatiser.
Les troubles musculo-squelettiques
L’ostéopathie a contribué beaucoup à ouvrir ce champ de connaissance par ses résultats sur des troubles musculo-squelettiques provenant parfois du corps et parfois du psychisme. D’abord, on comprend mieux les dysfonctions du corps grâce aux avancées scientifiques sur la totale continuité tissulaire du corps, de l’hypoderme à l’endomysium par le tissu conjonctif de glissement. Aussi les ostéopathes considèrent-ils d’abord l’hypothèse d’un déséquilibre mécanique responsable des symptômes quand un patient le consulte pour des douleurs musculo-squelettiques ou des troubles fonctionnels. Néanmoins, l’ostéopathie repose sur les lois de la matière, de l’esprit et du mouvement, qui impliquent la totalité du patient comme du soignant. L’ostéopathe doit mettre en œuvre ses connaissances et ses perceptions. Pour se faire, il doit être « présent » aussi parfaitement que possible. Ni pouvoir, ni volonté, la « présence » est ce qui permet l’écoute par l’ostéopathe des réponses des tissus aux questions que ses mains et son corps posent et reposent encore en un dialogue interrompu jusqu’à ce que leur dialogue ait amené une calme respiration tissulaire chez le patient. Dans cette écoute sensible, l’agacement du thérapeute ou la résistance inconsciente d’un patient empêchent la communication : il s’agit d’accepter le patient tel qu’il est maintenant et d’opter pour un « transfert de base », théorisé par Catherine Parat dans la clinique du corps, où il convient d’accepter, rassurer, encourager, comme le petit enfant au stade préverbal. L’ostéopathie a bien d’autres atouts du point de vue psychique : restaurer l’intégrité du Moi, des assises narcissiques et des fonctions de pare-excitation, solliciter les modalités sensorielles réprimées après un traumatisme, etc. Mais revenons à la somatisation dans la clinique ostéopathique.
Les patients, en ostéopathie aussi, posent et se posent des questions : que dire quand un patient attribue un sens à ses symptômes ? Est-ce par hasard qu’on se blesse là ? Ou qu’on se blesse « encore » là ? Et quand la cause mécanique manque ? Ou quand l’ostéopathe a l’impression que le corps « résiste » ? Ou quand le trouble survient après un événement psychique douloureux. Entendre la part psychique de la souffrance a-t-il un sens ? Est-ce suffisant ? Faudrait-il alors évoquer toutes les souffrances d’un patient ? Est-ce bien le rôle d’un ostéopathe ? Que veut dire « comprendre » une souffrance ? Comment est-ce qu’on peut par exemple aider à « digérer un deuil » ? Qu’est-ce que cela veut dire élaborer et comment cela éviterait-il le retour du symptôme ?
L’irritation neuro-végétative
Lorsque les troubles ne sont plus clairement musculo-squelettiques, psychologues, ostéopathes et médecins reçoivent des patients souffrant a priori d’une irritation neuro-végétative globale de l’organisme, s’exprimant sur les organes qui sont ceux… qui s’expriment toujours quand le patient est fatigué, énervé, « stressé ». Est-ce le psychisme ou le corps qui « choisit » cet organe ? Que penser des expressions populaires : en avoir plein le dos, avoir la tête dans un étau ? Comment la peur peut-elle « briser le foie » d’un Grec et « glacer le sang » d’un Français ? S’agit-il d’une métonymie par contiguïté de l’affect réprimé, comme le propose Colette Eynard[2] ? Ou est-ce que, de l’animal à l’humain, les réactions de « Flee, Fight or Freeze » dépendent pour nous tous, humains et animaux, du cerveau reptilien comme le propose Peter Levine[3] ? Et surtout dans quel cas privilégier un traitement ostéopathique, la pratique du yoga ou de la relaxation, la libération des mouvements réprimés, l’élaboration psychothérapeutique des chaines associatives, voire un médicament plus ou moins naturel contre l’anxiété ?
Les patients dont les symptômes évoquent d’emblée « une origine psy »
Dans d’autres cas, des psychologues reçoivent d’emblée des personnes dont les symptômes semblent « psys » car il manque une logique physiologique ou anatomique aux troubles. Intuitivement au moins, patients et praticiens savent que le psychisme a pu créer des symptômes fonctionnels sur les organes à fibres musculaires dépendants du système neuro-végétatif. Ces symptômes-là ont une probabilité d’être une métaphore, c’est-à-dire un langage, un processus de somatisation commun des personnalités hystériques et obsessionnelles. Mais qu’est-ce qu’une somatisation, et comment ça passe du psychisme au corps ? Ou est-ce du corps au psychisme, comme le dirait Damasio ?
La conversion hystérique et les symptômes conversifs
Depuis Freud et ses patientes hystériques, on parlait de conversion. Ce que la personne cachait, son corps le disait de façon « naïve ». Désormais le DSM a produit 4 sous-catégories allant du Trouble Somatisation le plus prolifique au Trouble douloureux unique, en passant par le Trouble Somatoforme Indifférencié et le Trouble de Conversion. Chez l’hystérique, cela reste vrai, le retentissement est disproportionné et la symptomatologie riche, volontiers inscrite dans un enjeu conflictuel avec autrui.
Les personnalités obsessionnelles montrent à l’inverse une aptitude à souffrir stoïquement tout en ruminant un conflit intra-personnel, avec un choix d’organe beaucoup plus restreint et souvent moins bruyant. Alors pourquoi parle-t-on d’un « choix d’organe » ? Parce qu’il est redondant… l’estomac, l’intestin, tout ce qui sert donc à ruminer… Mais qui choisit de nouveau : le corps, le psychisme ? On sait difficilement répondre. On sait toutefois qu’il faut rester prudent car la maladie organique peut toucher un jour ces organes que des troubles fonctionnels chroniques paraissent longuement malmener sans guère les endommager.
Ces patients-là, qui souffrent dans leur corps parce qu’ils persévèrent dans des souffrances subies pendant l’enfance, auraient intérêt à être pris en charge par des thérapeutes psys, de façon à diversifier leurs modes d’adaptation au monde, à assouplir des instances surmoïques, à les rendre moins cruelles, à réévaluer des idéaux. Mais cela impliquerait une décision de modifier un peu leur approche du monde et de la vie, ce qui ne va pas de soi. Quels critères devraient engager à adresser à un psy ? Et l’ostéopathie est-elle une solution ou un piège quand elle « soulage » très momentanément ces symptômes ? Qu’en espérer ?
Les troubles anxieux
D’autres personnes présentent des troubles anxieux sous forme de phobies étonnantes, récurrentes ou soudaines, qui attaquent leur corps de nombreuses façons. Un tel ne peut plus dormir car il a soudain peur d’avaler sa langue. Un autre s’effraye à l’idée de « vouloir » de couper les doigts de son fils quand il joue du piano. D’autres soudain ont peur de quitter le domicile pour aller simplement travailler. La souffrance morale est intense, même si elle atteint le corps. Ici, les ostéopathes devraient savoir adresser à des psys, pas n’importe lesquels, ceux qui se sont intéressés de près aux méandres de l’inconscient, des pulsions et fantasmes. Il serait donc nécessaire de les avoir rencontrés avant pour savoir à qui adresser. Il serait aussi prudent d’éviter de suspecter une origine organique de ces troubles, sous peine de les cristalliser longuement.
La maladie psychosomatique
Enfin, il y a des patients, dont on ne pense rien d’emblée et qu’on suit de manière fort agréable pendant longtemps car l’ostéopathie leur procure un bien-être physique et corporel très apprécié. On dispose aujourd’hui d’un réseau d’indices qui devrait nous engager à surveiller certains de ces patients de très près parce qu’on les croit davantage susceptibles de somatiser de façon grave : abandon ou maltraitance précoce débouchant sur une vie adulte sur-adaptée au cours de laquelle un traumatisme répète la souffrance infantile, impression d’une insouciance excessive devant des symptômes, absence de souvenirs de la vie infantile, parfois quelques indices d’un corps peu individualisé par rapport à la mère ou au père, etc. Certains thérapeutes psys savent déjà que ces personnes méritent une vigilance accrue pour détecter rapidement des maladies organiques peu bruyantes. Pas tous et sans doute pas tous les ostéopathes non plus. Pourtant savoir repérer et adresser rapidement ces patients vers des examens médicaux adéquats pourrait sauver des vies. Même si on ne comprend pas pourquoi, même si on ne sait pas mieux les aider aujourd’hui, cela reste tout de même crucial.
Voilà, en bref, quelques modes de somatisation déjà étudiés longuement par des thérapeutes et qui peuvent nous servir de cadre de départ.
Méthodologie de travail
Nous souhaitons dans cet atelier de recherche réfléchir à partir de cas cliniques partagés, décortiquant autant les tâtonnements infructueux et nécessaires que leur dénouement heureux. Notamment, nous étudierons de près les éléments novateurs de la clinique ostéopathique : par exemple, quel mouvement psychique peut-on observer chez un patient au moment où il lâche une somatisation…
Regardons deux exemples de somatisations par troubles musculo-squelettiques :
- Comment est-on arrivé, chez une patiente souffrant d’un lumbago très douloureux à sa peur pour la vie de son fils ? Son épaule, bloquée sans traumatisme, répétait peut-être l’épaule de son fils qu’il avait fracturée en mettant sa vie en péril. C’était l’attraction tissulaire qui avait amené le travail ostéopathique sur l’épaule, laquelle avait fait supposer que c’était cette peur-là parmi d’autres souffrances nombreuses, qu’il fallait élaborer.
- Comment est-on arrivé, chez un patient souffrant d’une sciatalgie chronique à la remémoration d’une peur datant d’une opération de la prostate, opération qui répétait une vision traumatique de guerre. Et inversement : comment la peur de l’opération (pourtant déjà passée) a-t-elle pu créer une sciatalgie ? Y avait-il d’autres facteurs plus récents ? Est-ce toute une économie psychique à comprendre ?
Quels étaient les processus à l’œuvre ici, pour somatiser, pour dé-somatiser ? On connaît déjà quelques éléments de réponse. Dans le cas de la première patiente de personnalité hystérique la répétition de l’épaule aurait été difficile à trouver sans dialogue direct avec les tissus de son corps. En effet, pour vigoureuse qu’ait été sa plainte, concevoir que la lombalgie puisse venir de l’épaule n’aurait pas pu être une déduction logique. C’était l’histoire singulière de cette personne-là. C’est au moment où le thérapeute travaillait sur l’épaule qu’il a pu entendre la répétition du symptôme chez l’enfant et sa mère, répétition invitant à entendre mieux et prendre soin de la peur de sa patiente pour son enfant. Par ailleurs, il était vraisemblable qu’une souffrance à la fois si aigue et durable sans traumatisme avait peu d’hypothèse d’être tout à fait organique.
Arriver à une symbolique peur de la castration avait été plus laborieux chez le second patient dont l’obsessionalité interdisait toute conscience de peur actuelle ou passée. Le corps n’était qu’une musculature tendue difficile à lire. Seul un étonnement, dans une écoute bienveillante, humble et patiente, attentive aux hésitations du discours, avait permis au patient d’évoquer de lui-même ce souvenir traumatique ancien… alors le corps s’était mis à trembler, permettant enfin aux masses lombaires de libérer la racine nerveuse de ce carcan musculaire rigide. Par chance les images médicales n’avaient encouragé personne à accréditer un diagnostic organique.
Modalités pratiques
Chaque premier mardi du mois, de 21h30 à 23h00 (sauf jours fériés).
Lieu : les Parisiens qui le peuvent sont invités à se retrouver au cabinet de Chantal Ropars à Charenton, 99 rue du Petit Château. Les Parisiens éloignés, Provinciaux et Etrangers sont invités à se connecter par Skype à chantal.ropars à Paris. Les essais de connexions seront faits au préalable.
Un participant présente un cas de patient puis un temps de questions-réponses avec les autres participants permet l’élaboration de la réflexion commune. Publication éventuelle des travaux sur le site de l’Académie d’Ostéopathie.
Accès réservé et gratuit aux membres de l’Académie d’Ostéopathie, membre actif si vous êtes ostéopathe, ou membre associé si vous n’êtes pas ostéopathe. Envoyer un mail avec vos motivations à ropars.chantal@sfr.fr
Conditions d’adhésion et adhésion sur le site de l’Académie d’Ostéopathie.
[1] Ropars, C. (2011). L’ostéopathie soigne-t-elle le corps ou l’esprit ? Recherche pilote et repères diagnostiques ApoStill n°24/25.
[2] Eynard Colette, « Entre conversion et somatisation : la relation métonymique », Revue française de psychosomatique, 2004/1 no 25, http://www.cairn.info/revue-francaise-de-psychosomatique-2004-1-page-117.ht
[3] Levine P. (1997) Waking the tiger. Berkeley, California, North Atlantic Books.